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Numéro 39 - rive éducative - décembre 2020

Christiane Adjovi, Master en Sciences de l’Education (Université de Paris VIII) et Master en Sociologie et Anthropologie (Université de Cotonou)

Rien ne développe l’intelligence comme les voyages 

Le voyage est un déplacement physique, intellectuel ou spirituel, pour le plaisir ou contraint par des événements et des situations diverses. Nous voyageons pour faire du tourisme ou pour fuir son pays (pour une sécurité alimentaire, économique, ou préserver intégrité physique). Si l’on fait un sondage auprès de ses collègues, le voyage est un sujet qui évoque de multiples situations et événements - voyage scolaire, de villégiature, ou au travers des livres…Le voyage forme la jeunesse, permet de se confronter à un autre paysage, une autre culture. Il est la meilleure façon d’apprendre, une éducation à l’altérité. Le voyage et l’éducation sont deux manières d’apprendre . Ses formes sont extrêmement variées.

Les classes découverte (de neige ou d’été) sont des déplacements en classe groupe bien connus des anciens et des nouveaux élèves. Il s’agit en général de voyages thématiques liés aux projets de classe ou d’école, qui concernent une classe ou plusieurs. Accompagnés d’enseignants (2), les élèves partent à la découverte d’endroits inconnus, en car ou en train et parfois en avion. Ils se rendent plus ou moins loin de la ville de leur l’école. Les professeurs choisissent de leur faire découvrir des activités, des aspects de la vie, des modes de vie, des endroits emblématiques dans la limite du temps disponible. Ils logent ensemble dans un centre dédié ou dans des familles qui les intègrent à leur vie quotidienne de celle-ci autant que possible. Ces voyages de cohésion soudent les classes car les élèves sortent de leur milieu de vie habituel et vivent collectivement et autrement dans un endroit neutre.  

L’altérité permet de mieux apprend les langues, car on est obligé de les utiliser dans leur contexte. Ou plutôt, voyager permet aux élèves de découvrir une autre langue, d'autres coutumes, et en même temps, de connaître autrement leur groupe classe et de créer de nouveaux liens, enrichis par le partage avec leurs camarades (3). L’expérience du vivre ensemble est formateur. Le voyage forme.

Une autre expérience de voyage est proposée par les bains linguistiques ou apprentissages immersifs de la langue. Les élèves partent en groupe ou individuellement. Ils sont accompagnés par des organismes privés ou par les enseignants (4). Ils sont accueillis dans des familles locales. Cette adaptation permet de développer des stratégies pour apprendre une nouvelle langue ; l’apprentissage est commencé à l’école ou non. Il y a beaucoup de façons d’apprendre à lire dans le livre du monde (5).

Les filles au pair sont des jeunes filles qui partent dans des familles en dehors de leur pays pour apprendre une langue. Elles sont logées au sein de familles locales où elles doivent accompagner les enfants de la famille et leur parler leur langue maternelle. L’échange permet à la voyageuse d’échanger « sa langue » contre celle de ses hôtes. Cette autre forme de bain linguistique est basée sur un aller et retour, chacun apporte et donne de soi. Comme pour les voyages scolaires, les filles au pair partent sans leurs parents. Cette situation d’apprentissage correspond à la maturité, l’autonomie et l’entrée dans la vie adulte.

Pendant ces voyages linguistiques, la découverte de l’histoire et de la culture du pays d’accueil tient une grande place comme les livres, les musées et les autres outils d’apprentissage… qui nous font voyager sans quitter notre pays, pour apprendre ou en apprenant. Les correspondances épistolaires, individuelles et collectives, sont des outils d’échange, de partage et de communication entre des élèves, des jeunes ou des classes qui sont dans des endroits différents. Le projet Flat Stanley (6) est un projet de découverte culturelle et spatiale qui prend le prétexte d’un personnage « voyageant » au travers d’endroits divers et variés. A chaque étape, il est photographié dans un endroit emblématique d’une région ou d’un pays et renvoyé à l’expéditeur qui garde des traces et des images de plusieurs endroits et d’événements. Il s’agit d’une forme de correspondance photographique.

Une autre forme de voyage concerne les échanges scolaires internationaux. On voyage pour une formation que l’on n’a pas trouvée dans son propre pays ou parce qu’elle est meilleure à l’étranger. Ce phénomène s’est beaucoup développé ces dernières années et concerne des milliers de jeunes. Michel Serres pense « qu’aucun apprentissage n’évite le voyage…Apprendre lance l’errance » (7). Il rappelle que le mot « pédagogie » signifie « le voyage des enfants » (8). Les échanges internationaux sont considérés comme un dispositif de formation (9) dans lequel le sujet est « un passeur de frontières » qui s’engage grâce à cette expérimentation dans un processus formatif en développant de l’expérientiel. Il peut concerner la langue, la culture. La mobilité formative prend parfois le nom de pédagogie interculturelle, internationale ou des échanges (10). Les programmes Erasmus et Voltaire sont des exemples de ce type d’apprentissage non-formel et informel. Si le voyage enrichit intellectuellement (11) et participe à l’épanouissement, il permet aussi le développement personnel et spirituel.

Certains voyages sont essentiels pour mieux comprendre des événements dramatiques de l’histoire, comme par exemple la visite des camps de concentration. Les voyages spirituels, par exemple avec des moines ou d’autres religieux dans des lieux spirituels ont pour but d’apprendre sur soi ou sur l’humain. Les voyages humanitaires permettent aussi de se rendre compte d’une réalité difficile et complexe. D’autres voyages apprennent enfin à respecter la planète, en visitant et nettoyant des parcs naturels, des réserves pour comprendre l’intérêt de la biodiversité. Dans tous les cas, le voyage est fait pour se former (12). La dimension associative contribue souvent à rendre le voyage accessible (13). 

Le voyage reste une expérience certainement enrichissante mais difficile et encore trop inégalitaire (14).  Tout le monde ne peut pas profiter de ce type de formation tout au long de la vie. Si la mobilité physique ou spirituelle est la plus coûteuse financièrement, le voyage intellectuel que permettent les livres ne sont pas accessibles à tous. Ils sont pourtant le premier pas vers le voyage « tout court »


(1) Emile Zola
(2) Certains voient d’ailleurs le processus d’évaluation pédagogique comme un voyage :cf https://www.educavox.fr/formation/analyse/le-voyage-pedagogique-enseignant-ou-voyagiste (consulté le 25/11/2020)
(3) Emmanuelle Orand, une collègue enseignante
(4) Et parfois les enfants partent en famille faire le tour du monde. L e carnet de voyage est d’ailleurs aussi considéré comme un outil non seulement d’apprentissage mais aussi de recherche. Cf pour ce dernier point https://cdevoyage.hypotheses.org/tag/outil-pedagogique (consulté le 25/11/2020)
(5) Thibaut Vian (2019), "L’éducation par le voyage", Paris: Harmattan
(6) Flat Stanley est un personnage tout droit sorti du roman « Clément aplati » de Jeff Brown, « Flat Stanley » en anglais. Ce roman raconte les aventures d’un enfant, Clément, qui se fait aplatir par un panneau d’affichage -  http://soissonnais.dsden02.ac-amiens.fr/235-clement-aplati.html
(7) Serres, Michel, (1992), "Le Tiers-instruit", Paris: Gallimard, Folio (Essais)
(8) Idem
(9) Colin Lucette et Le Grand Jean-Louis (et al),2008, "L’éducation tout au long de la vie",  Paris:  Economica (Anthropos), P 61
(10) Idem, P 64
(11) « Voyager s’apprend » http://cafe-geo.net/leducation-au-voyage/ (consulté le 25/11/2020
(12) Emmanuelle PEYVEL (dir.), 2019, "L’éducation au voyage. Pratiques touristiques et circulations des savoirs" Paris: PUR.



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