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Numéro 40 - rive culturelle - mai 2021

dr Giovanna Campani, professeure d'Antrhopologie à l'Université de Florence (Italie)

Ils ne sont pas restés chez eux ... les navigateurs portugais, Bartolomeu Dias et le cap de Bonne-Espérance

En 1487, le roi Jean II de Portugal chargea le navigateur Bertolomeu Dias d’une  mission « circum-naviguer » l’Afrique. Grand défenseur de la politique d’exploration de l’océan Atlantique commencée par son grand-oncle, le légendaire Henri Le Navigateur, Jean II recherchait une route maritime vers les Indes, terre d’immenses richesses et de précieuses épices, dont rêvaient les Européens de l’époque. Sollicité par un obscur marin génois, du nom de Cristovao Colombo, pour financer une expédition maritime joignant l’Europe atlantique avec l’Asie par l’Atlantique Ouest, Jean II préféra parier sur l’Atlantique africain pour assurer la jonction avec l’Asie. Depuis le début du XVème siècle des centaines de caravelles portugaises sillonnaient les côtes occidentales de l’Afrique. Les Portugais s’étaient installés à Madère, aux Açores, aux Iles du Cap Vert, en Guinée ; Diogo Cao avait exploré la côte africaine jusqu’ à l’Angola (1). 

Surnommé "o Príncipe Perfeito", Jean II avait des défauts : il avait poignardé son cousin, le duc de Viseu, au cours d’une bataille pour réduire le pouvoir de l’aristocratie et consolider celui de la couronne. Ces pratiques étaient assez courantes à l’époque et ne préoccupaient pas trop les navigateurs qui écrivirent l’extraordinaire épopée de Diogo Cao, Pedro Alvares Cabral, Barolomeu Dias, Diogo Dias, Vasco da Gama, Joao da Nova, Gaspar Corte Real, Gonzalo Coelho qui donnèrent à l’Europe la connaissance géographique de la planète Terre.  Ils seront chantés par Luis de Camoes dans « Les Lusiades » (2) moins d’un siècle plus tard.

Parti en aout 1987, Dias arriva à la pointe du continent fin décembre, lorsque ses caravelles  furent prises dans une tempête d'une extrême violence. Pendant treize jours, le navigateur perdit de vue de la cote, et, quand la tempête fut apaisée, il ne retrouva plus terre à l’Est: à son insu, Dias était passé de l’Océan Atlantique à l’Océan Indien. Il décida alors de naviguer vers le Nord, se retrouvant ainsi le long de la côte orientale de l’Afrique qu’il remonta jusqu’à  l'embouchure de l'actuel Fish River, aujourd’hui  en Afrique du Sud.

Obligé par un équipage épuisé par un si long voyage à faire demi-tour, Dias retrouva la pointe de l’Afrique et le cap qu’il avait traversé sans le percevoir. Cette fois-ci il arriva à le traverser malgré une autre tempête. Grâce à  son expérience et, peut- être, poussé par un obscur pressentiment, Bartolomeu Dias nomma  l’endroit, el Cabo das Tormentas (le Cap des Tempêtes).

En décembre 1488, après 16 mois de voyage, Dias fit un retour triomphal à Lisbonne. Le roi Jean II le félicita pour les extraordinaires nouvelles dont il était porteur :  les portes de l’Océan Indien (et la route des épices) étaient enfin ouvertes. Dias expliqua probablement au roi que le prix que les navigateurs allaient payer pour parcourir cette route serait lourd : les conditions autour du Cap étaient bien capricieuses qui lui avait valu le nom de “Cap des Tempêtes”. Mais le roi Jean, qui n'était pas à bord du navire ballotté par les vents, pensa qu’il s’agissait juste d’un triste nom pour un passage vers de nouveaux marchés qui pouvaient amener la prospérité à son royaume- le Cap découvert par Dias s’appellerait donc Cap de Bonne Esperance.

Jean II mourut - peut être empoisonné- en 1495. Son cousin lui succéda- Manuel I, frère de Duque de Viseu que Jean II avait poignardé. Il partageait la volonté de son prédécesseur de poursuivre les explorations maritimes. En 1497, il finança l’expédition de Vasco de Gama, “Fidalgo”, qui était noble alors que Bartolomeo Dias était d’origine modeste. Il fut chargé de rejoindre l’Inde. Vasco de Gama passa le Cap de Bonne-Espérance le 22 novembre 1497 et rejoignit les côtes africaines où il effectua plusieurs escales jusqu’au Kenya. En avril 1498, Vasco de Gama franchit une partie de l'océan Indien et atteignit  Calicut (Kozhikode, en Inde) le 20 mai. 

En mars 1500, Manuel envoya Pedro Álvares Cabral à la tête d'une escadre de treize navires pour organiser le commerce avec les princes indiens. Bartolomeu Dias fit partie de la flotte. Traversant sans le savoir l'Atlantique, Cabral atteignit le Brésil. Il détacha un navire pour apporter la nouvelle de sa découverte à Lisbonne, puis reprit sa route vers le cap de Bonne-Espérance.

En route vers les Indes, le navire de Bartolomeu Dias fit naufrage et disparut près du cap que Jean II avait appelé Bonne-Espérance. Le destin avait permis à Dias de survivre deux fois mais ne toléra pas un troisième défi. Après le naufrage, des marins inconnus attachèrent au tronc d'un arbre (un Sideroxylon à Mossel Bay), une chaussure contenant une lettre décrivant le naufrage. Vieux de 6 siècles, cet arbre est appelé arbre à Poste (Post Office Tree) ; il est classé Monument National d'Afrique du Sud (3).

Le navire de Dias ne fut pas le dernier à faire naufrage au Cap. Selon la légende, le «Hollandais volant », le plus célèbre des vaisseaux fantômes, se serait échoué au large du cap de Bonne-Espérance. Le nom voulu par le roi Jean- au-delà de ses intentions- est significatif d’un monde qui, pour le bien et le mal, par la violence et la connaissance, a ouvert une nouvelle étape de l’histoire humaine.

L’Europe repliée et enfermée sur elle-même dans la peur instillée par la religion et les contraintes de l’ordre féodal allait vers sa fin. L’audace, le défi du risque et de la mort aussi- et la curiosité de l’inconnu triompheraient avec des nouvelles personnalités d’hommes -et de femmes- prêts à “sortir de chez eux” – au sens physique, géographique et métaphorique- intellectuel et spirituel.

Méfions-nous des sociétés dominées par la peur, où l’enfermement -chez soi- devient une valeur.

(1) La route des avancées portugaises outre-mer au-delà du Gabon fut désormais tracée, par le moyen de bornes sculptées en pierre, les “padrões”, qui parsemèrent la descente vers le Cap de Bonne Espérance jusqu’en 1488.
(2) Luis de Camoes , « Les Lusiades », (Os Lusíadas ), poème épique probablement achevé en 1556 mais publié en 1572
(3) jardin botanique national de Kirstenbosch (Kirstenbosch National Botanical Garden)- site de Freddie Bosman



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