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Numéro 41 - rive éducative - décembre 2021

Christiane Adjovi, Master en Sciences de l’Education (Université de Paris VIII) et Master en Sociologie et Anthropologie (Université de Cotonou)

Les facettes de la solidarité, une notion trop galvaudée

« La solidarité est le rapport existant entre des personnes qui, ayant une communauté d'intérêts, sont liées les unes aux autres (1) ». Il y a un lien entre les personnes et les choses.  Dans la vie de tous les jours, nous y sommes souvent confrontés. Lorsque nous portons assistance à des membres de nos familles, lorsque nous donnons l’aumône à des personnes que nous croisons dans les transports, lorsque nous aidons des amis ou des connaissances ou tout simplement des inconnus. Il s’agit parfois juste d’un soutien. On le fait avec plaisir, par obligation, ou bien avec un sentiment de devoir moral. Nous le ressentons à l’égard des membres de notre famille lorsqu’ils ont besoin de notre aide financière, matérielle ou psychologique. Lorsque nous cotisons à la sécurité sociale, nous faisons œuvre de solidarité sans l’avoir décidé car il y a une interdépendance entre les membres d’une société : je donne pour recevoir, je reçois pour donner.

 La solidarité est au cœur de tous les microcosmes y compris l’école. Pour Edgar Morin “enseigner la compréhension entre les humains est la condition et le garant de la solidarité intellectuelle et morale de l'humanité”(2). L’auteur de la pensée complexe adapte l’éducation à la complexité de l’époque contemporaine. Dans le programme des écoliers y compris en maternelle, cette problématique transparaît clairement. Le 3è point de l’annexe du programme de l’école maternelle préconise « une école où les enfants vont apprendre ensemble et vivre ensemble » (3). L’école est ainsi un lieu où l’enfant acquiert des savoirs et apprend à « se construire comme personne singulière au sein du groupe » (4). La solidarité se retrouve à la fois dans les manières d’enseigner et de vivre dans les classes et à l’intérieur de l’école, mais aussi dans les disciplines.

 Travailler en équipe, travailler en groupe, sur des projets communs, permet d’apprendre la solidarité. Les projets mis en place peuvent être des apprentissages de solidarité : projets divers pour prendre conscience des enjeux du développement durable (5). Apprendre la collaboration à travers le tutorat relève aussi de l’apprentissage de la solidarité. Les élèves participent parfois à la vie associative en aidant leurs camarades lors de leurs devoirs (ou leurs petits frères et sœurs à la maison).

Les enfants apprennent la solidarité à l’école en apprenant à demander de l’aide, à en recevoir et à en proposer spontanément. Ils acceptent plus facilement l’échec et la réussite qui deviennent un enjeu ou un objectif collectif. La solidarité s’exprime dans le collectif. Pour Françoise Dolto (6) la solidarité s’apprend aussi à travers les jeux. Ne demandons-nous pas aux enfants, en classe et à la maison, en permanence de partager, partager les jeux, les jouets, le goûter… ? « Être solidaire, c'est le contraire d'être égoïste! » (7) La célébration de la semaine de l’économie sociale et solidaire est l’occasion pour le monde éducatif d’initier les élèves aux pratiques de la solidarité. Il en est de même dans les différents projets culturels dits Parcours d’éducation culturelle et artistique (PEAC) à la fois dans les écoles primaires et dans les collèges et lycées où les Enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI ) peuvent être des creusets de réalisation d’activités sur la solidarité. L’élève est préparé à être citoyen et responsable. Cette solidarité est aussi présente entre collègues avec le décloisonnement, le partage de projets, la collaborations et des entraides diverses…

La solidarité est aussi un fondement de la société. Les impôts permettent la distribution de services d’Etat dans la santé, l’énergie, l’eau, les transports, ou la cotisation à la retraite et constituent autant d’éléments de contribution à la solidarité commune. La solidarité peut être élargie à l’international avec le respect des droits de l’homme ou pendant des catastrophes avec l’aide aux victimes et aux démunis. Pour François Bayrou “Le citoyen n’est pas un consommateur mais (…) un producteur d’idées, de convictions, d’engagement, de solidarité.”(9). Les structures étatiques ou associatives telles les Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active (CEMEA) (10) ou le réseau Education et solidarité (11) organisent la solidarité et la mettent en œuvre auprès d’un grand nombre de personnes.

Pour le sociologue français Michel Wieviorka « L’idée de solidarité est ancienne, elle a une histoire, ne serait-ce qu’en Occident : chrétienne, souvent caritative, puis républicaine. Aujourd’hui, elle est au cœur de bien des mobilisations collectives, auxquelles elle apporte le ciment nécessaire à leur efficacité » (12). Pour Emile Durkheim, « La solidarité correspond aux liens invisibles qui relient les individus entre eux et qui font que la société « tient » : la solidarité est le « ciment » de la société » (13) . Soyons vigilants aux dérives d’une certaine solidarité comme le souligne Michel Wieviorka.

La solidarité est aussi le liant de toute humanité mais semble aussi présente chez les animaux.  Elle est associée à la charité dans la fable de Jean de la Fontaine « La colombe et la fourmi ». La colombe sauve la fourmi qui la sauve à son tour du Croquant « Point de Pigeon pour une obole » (14). Comment repenser cette solidarité dans un climat de doute généralisé avec la campagne naissante ?


(1) Larousse, 2021
(2) Edgar Morin, 1999, Paris, Points Essais, Les Sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur
(3) BOENJS n° 25 du 24 juin 2021Marie-Paule Poilpot, « La résilience : le réalisme de l'espérance », dans : Fondation pour l'enfance éd., La résilience : le réalisme de l’espérance. Toulouse, Érès, « Fondation pour l'Enfance », 2005, p. 9-12
(4) Ibidem
(5) Apprendre à protéger la planète par des gestes simples du quotidien à savoir ne pas gaspiller le matériel de classe, l’eau aux toilettes, la nourriture à la cantine en consommant de manière éco responsable, l’énergie ; penser aux enfants qui sont en manque de certains conforts à travers le monde en collectant et distribuant des objets, des jeux, des vêtements. Les plus grands dans les lycées ou universités vont découvrir des réalités de pays pauvres en aidant à la construction ou à l’entretien d’infrastructures
(6) Françoise Dolto, 1998, Paris Gallimard, Les étapes majeures de l'enfance
(7) https://www.lumni.fr/video/c-est-quoi-la-solidarite consulté le 3 novembre 2021
(8) Les projets sur le développement durable au sein des classes ou des établissements scolaires sont de véritables outils de solidarisation. Ainsi les éco délégués désignés pour être des ambassadeurs et porteurs de messages en faveur de la planète, sont de véritables outils d’apprentissage de la solidarité
(9) Discours de campagne des législatives du MoDem à Paris - 24 mai 2007
(10) Il s’agit de mouvements nationaux d’éducation nouvelle, (Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active), créés en 1937 et reconnus d’utilité publique
(11) « Le Réseau Education et Solidarité est une association internationale sans but lucratif, créé en 2009 par la MGEN (Mutuelle Générale de l’Education Nationale), l’Internationale de l’Education (IE), l’Association Internationale de la Mutualité (AIM), et avec l’appui du Bureau International du Travail (BIT) » et qui a pour but de « bâtir des ponts entre acteurs de l’éducation et acteurs de la santé, afin d’œuvrer à la santé, au bien-être, à la protection sociale de la communauté éducative partout dans le monde » (cf leur site consulté le 13/11/2021
(12) Michel Wieviorka (Sous la dir.), Les Solidarités, 2017, Les entretiens d'Auxerre
(13) Ibidem
(14) Jean de la Fontaine, « la colombe et la fourmi » - https://www.bonjourpoesie.fr/lesgrandsclassiques/poemes/jean_de_la_fontaine/la_colombe_et_la_fourmi

 



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