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Numéro 42 - rive éducative - mai 2022

Christiane Adjovi, Master en Sciences de l’Education (Université de Paris VIII) et Master en Sociologie et Anthropologie (Université de Cotonou)

A chaque âge ses plaisirs et ses jeux

Le jeu est une notion polysémique utilisée dans plusieurs contextes et situations. Il peut être appréhendé à la fois comme contenu, forme,  contexte,  cadre ou dispositif. On trouve des activités qui ont toutes les caractéristiques du jeu, d’autres qui sont des hybrides entre jeu et exercice scolaire, d’autres encore appelées « activités ludiques » dont le lien avec le jeu est souvent ténu mais qui sont censées être plus amusantes. Dans l’apprentissage d’une langue »(1), les critères de liberté, de divertissement, de futilité, des règles simples ... participent du jeu.

Dès le 19è siècle, des pédagogues et chercheurs se sont intéressés à la dimension éducative du jeu.  Les pédagogies dites nouvelles (Claparède, Ferrière, Decroly, Fröbel, Maria Montessori, Freinet, Cousinet, Dewey…) ont eu l’idée de présenter un apprentissage comme un jeu pour laisser l’enfant s’exprimer par des travaux manuels ou des discussions dès le jardin d’enfant. Certains pensent que la réalité du jeu dépend du cadre de fonctionnement, de la culture générale (avec des pré requis), de la culture ludique des participants, des objectifs qui soutiennent les activités, des attentes…

Le jeu est très présent à l’école maternelle, dans les centres aérés, dans les groupes de scout, dans les camps de vacances… Divertir, se divertir en apprenant, ou apprendre en se divertissant. A l’école, il dépend du modèle éducatif. Le jeu est plus présent dans les systèmes scolaires du Nord de l’Europe (Suède, Allemagne). En France, les programmes souhaitent mettre le jeu au centre des apprentissages, pourtant il reste marginal comme jeu libre - pendant la récréation ou lorsque l’apprenant a fini l’activité imposée (2).

Dans sa dimension éducative, le jeu vise des compétences spécifiques et psycho sociales (3). Un aspect hybride existe pour Gilles Brougère , entre jeu et  construction cadrée utile à l’apprentissage. Il existe une tension entre le jeu (situation et objet futile) et l’aspect ludique – « édumusement » ou ludo-éducation (4). Il parle de « ludiciser » les apprentissages voire les classes (5). Le jeu est considéré comme une passerelle car il s’agit de le détourner à des fins d’apprentissage pour changer des attitudes et comportements socioculturels (6).

En dehors de l’école, des pratiques sociales peuvent être considérées comme des apprentissages, avec une dimension pédagogique du jeu (7). Ce sont des situations informelles autour d’un jeu en ligne ou d’autres formes ou  situations où le jeu est proposé pour ses effets éducatifs et ses qualités transversales (humaines, professionnelles et disciplinaires). Il  permet à des élèves décrocheurs de « raccrocher » (8)

Les technologies d’information et de communication (Tic) sont apparues dans les apprentissages et les stratégies pédagogiques dès 2000. On parle de ludification (« gamification » en anglais). La littérature scientifique s’est intéressée aux jeux vidéo dont le caractère interactif et multimédia offre un support pédagogique sérieux (9). Il faut différencier les jeux vidéo des serious games utilisés dans la publicité, la communication, la formation, ou le recrutement, etc (10)

Les jeux vidéo à visées éducatives (11) sont utilisés par des enseignants pour susciter la motivation, développer l’imagination et la curiosité, entraîner l’esprit au défi et au contrôle. Il existe “une fonction éducative latente dans des activités sans but éducatif, en d’autres termes un coproduit éducatif accompagnant l’activité principale ». Il y a un aspect d’autodidactie dans les situations ludiques.(12)

Dans certains pays comme le Danemark, le caractère ludique s’inscrit  dans un cadre éducatif. Le jeu vidéo fait partie intégrante des programmes pour ses intérêts cognitifs, neurologiques intéressants et ses situations d’apprentissage. Le jeu est un support idéal pour permettre l'acquisition de compétences plus difficiles car il présente de nombreux atouts : il motive l'enfant, facilite sa concentration et stimule sa mémoire ; il rend actif l’élève  en classe. L’acte d’apprentissage n’est plus totalement conscient mais fortuit. Il peut en être ainsi dans les apprentissages de langue par exemple.

De l’école aux  situations professionnelles, le jeu est aussi utilisé  comme brise-glace (ice-breaking), pour intégrer de nouveaux apprenants/employés, ou créer un esprit d’équipe (team building)…

Le jeu n’a pas d’âge ou plutôt à chaque âge, un nouveau jeu.

(1) Gilles Brougère, « Qu’entendre par jeu dans l’enseignement et l’apprentissage des langues : diversité des situations et des modalités d’apprentissage », Recherche et pratiques pédagogiques en langues de spécialité [En ligne], Vol.36 N°2 | 2017, mis en ligne le 24 juin 2017, consulté le 01 mai 2022
(2) Pauline Kergomard, inspectrice d’école maternelle pour qui le travail de l’enfant est le jeu
(3) pour Gilles Brougère, dans ces cas, le jeu n’est plus frivole, il porte un enjeu d’évaluation
(4) néologisme proposé par des amoureux des parcs d’attraction français pour edutainment proposé par un Bob Heyman , documentariste à la National Geographic Society
(5) site de l’association «L’École branchée» créée au Québec, média diffusé dans les pays francophones, considéré comme « l’un des plus importants médias axés sur la valorisation des pratiques pédagogiques innovantes et le numérique en éducation
(6) Exemples de jeux utiles : memory, domino, échecs, jeux sportifs, jeux de coopération, jeux symboliques comme la dînette,  jeux numériques comme le tangram, casse-tête,  jeux alphabétiques....
(7) « Petits jeux intelligents » du site Juniors de la cité des sciences avec des manipulations; le jeu « mathador » de Canopé (jeu de société pour tout âge) pour s’entraîner au calcul mental
(8) association Fusion Jeunesse - organisme international fondé au Québec en 2009 qui accompagne des apprenants sur des projets expérientiels en France et au Canad ; Ubisoft en Aquitaine a soutenu des jeunes pendant la covid - https://fusionjeunesse.org/qui-sommes-nous/a-propos/
(9) Educavox - https://www.educavox.fr/innovation/recherche/le-jeu-video-pour-apprendre-l-histoire, consulté le 1er mai 2022
(10) Cohard, Philippe. « L’apprentissage dans les serious games : proposition d’une typologie », @GRH, vol. 16, no. 3, 2015, pp. 11-40. Dans cet article, l’auteur cite des études qui montrent « qu’e-Learning et serious game sont semblables sur de nombreux facteurs et que les serious games sont un genre évolué de e-Learning » et « L’usage des serions Games améliore l’apprentissage ». L’auteur trouve aussi des liens entre les «  grandes théories de l’éducation que sont le behaviourisme, le cognitivisme et le socio-constructivisme
(11) 5 gestes mentaux nécessaires dans tout apprentissage, développés par le jeu : l’attention, la compréhension, la mémorisation, la réflexion et l’imagination. Il y a toute une littératie du gaming au travers de connaissances des interfaces préalables aux jeux et développe en même temps de nouvelles connaissances méta-langagiers et contextuelles plus complexes en lien avec les actions, les personnages, le design, la situation, les systèmes etc
(12) Pain (1990) cité par Gilles Brougère : « Jeu et loisir comme espaces d'apprentissages informels », Éducation et sociétés, vol. no 10, no. 2, 2002, pp. 5-20



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