← Retour

Numéro 48 - rive éducative - mai 2025

Christiane Adjovi, Master en Sciences de l’Education (Université de Paris VIII) et Master en Sociologie et Anthropologie (Université de Cotonou)

Pour une éducation romantique- apprendre à écouter son cœur

Pour les enseignants, le thème du romantisme évoque la polémique, qui se poursuit plus officieusement, concernant les changements des programmes scolaires pour éduquer à la vie affective, relationnelle et sexuelle (1) et aux compétences psycho-sociales et l’empathie. (2)

Le romantisme est un courant littéraire et philosophique apparu au XIXe siècle. Par opposition au courant rationaliste des Lumières, il prône une célébration des passions, de la nature, et de l’individu. Cette mise en avant du moi suggère aussi une réflexion sur l’éducation, en proposant un idéal qui nourrit la pédagogie : une vision de la formation humaine centrée sur le cœur, l’imaginaire et l’authenticité. Il s’agit de mettre l’individu au centre des apprentissages afin que l’éducation et la formation soient vus comme des moyens d’épanouissement naturel de l’individu. La connaissance doit s’acquérir par intuition et non par déduction.

« L’éducation est un art difficile, car c’est celui d’apprendre à vivre » (3), disait Jean-Jacques Rousseau. Il considère que l’éducation doit respecter le rythme naturel de l’enfant, favoriser la découverte personnelle plutôt que l’instruction autoritaire, développer la sensibilité et non pas d’abord la raison. Pour lui, l’imagination doit motiver l’apprentissage. Friedrich Schiller abonde dans le même sens (4) en affirmant :« L’homme ne joue que lorsqu’il est homme au plein sens du mot, et il n’est tout à fait homme que lorsqu’il joue. »

L’individu doit être mis au centre du processus éducatif pour s’autoriser. Pour Victor Hugo il est important de croire en l’élève et en son potentiel de développement :« Chaque enfant qu'on enseigne est un homme qu'on gagne. » (5) Dans cette optique, l’éducation romantique vise à libérer la personnalité, à nourrir la conscience intérieure, et à cultiver une forme d’héroïsme moral. On retrouve à peu près ces objectifs dans les programmes scolaires depuis quelques années en France. Auparavant ils inspiraient les formes d’éducation dites nouvelles, pratiquant une pédagogie alternative du type Montessori, Freinet, Decroly, Steiner…Elles faisaient une large place à l’individualité où la prise en compte des besoins de l’apprenant ainsi que de ses émotions et les différenciations sont des points essentiels qui concourent à la réussite de l’élève. En maternelle, une large part est faite à un travail sur les émotions : comment les reconnaître, les accueillir et les gérer.

L’éducation, sous l’angle du romantisme, ne doit donc pas être uniquement un transfert de savoirs : mais aussi un véritable accompagnement vers la pleine réalisation de l’être, une quête profonde (6) qui cherche à unir raison et émotion afin d’agir sur la motivation, travailler toutes les fonctions exécutives pour la réussite non pas seulement des études mais de la vie. Les effets d’une démotivation peuvent être durables. Chateaubriand disait « qu’il est moins facile de régler le cœur que de le troubler » (7)

Former un citoyen solide et épanoui. En grandissant les jeunes apprenants ont besoin (en dehors d’une éducation à la sexualité à visées plus sanitaires) d’une véritable éducation à la sensibilité et à l’apprentissage de la prise en compte des besoins de l’autre (en dehors de ses propres besoins) pour une harmonie dans des relations duelles et collectives. L’éducation devrait redonner à la sensibilité et la poésie _ qui révèlent la profondeur des liens et préparent l’apprenant à être un citoyen complet et solide _ le romantisme devrait constituer l’enjeu capital de l’éducation dans le contexte socio-économique actuel. Appliquer en somme la « complexité » (au sens d’Edgar Morin) à l’éducation.

(1) Le guide Evas destiné aux professionnels a provoqué des réactions de parents qui ont initié une pétition adressée à Gabriel Attal, ministre de l’Education nationale (2023)

(2) Pour plus d’information  : https://eduscol.education.fr/3901/developper-les-competences-psychosociales-chez-les-eleves

(3) Jean-Jacques Rousseau , Émile ou De l’éducation , Genève (Suisse), 1762

(4) Friedrich Schiller , Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme , Iena (Allemagne), 1795

(5) « Les Quatre vents de l’esprit », Poésie, tome X.djvu/75, 1881

(6) Au sens du terme « Agency » qui renvoie au pouvoir d’agir sur son éducation, aspect développé par Paulo Freire (1921, Récife ; 1997, São Paulo) , pédagogue brésilien, dans son approche de l’éducation populaire.



devenez contributeur des rives d'iriv

← Retour